Chine, Europe, Royaume-Uni, Etats-Unis : les réglementations vertes pour lutter contre le changement climatique dans le bâtiment

Les réglementations en matière de conception et de construction qui améliorent l’efficacité énergétique des bâtiments représentent des leviers prometteurs pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C avant la fin du siècle. Dans un paysage réglementaire très complexe, il est parfois difficile d’évaluer l’efficacité réelle des réglementations actuelles dans la concrétisation des engagements nationaux visant à atteindre la neutralité carbone au cours du siècle. Dans cet article, nous nous intéresserons à certaines des réglementations mises en œuvre dans cet objectif par les gouvernements chinois, européens et américains, ainsi qu’à leurs ambitions affichées. 

 

Où en est la Chine ?

 

La Chine, plus grand émetteur mondial de CO2, qui s’est engagée à atteindre son pic d’émissions d’ici 2030 et la neutralité carbone d’ici 2060, est un cas intéressant. Selon le Green Buildings Performance Network (GBPN), une organisation mondiale offrant une expertise politique et une assistance technique pour améliorer la performance énergétique des bâtiments, la Chine « valorise activement l’efficacité énergétique des bâtiments en se préoccupant de plus en plus du développement durable, de la sécurité énergétique nationale et en témoignant d’un intérêt croissant pour une économie à faibles émissions de carbone » depuis les années 1980, ainsi qu’en ayant adopté dès 1986 le premier « code national de l’énergie pour la conception des bâtiments résidentiels neufs dans les régions froides et très froides ».[1]

Au vu de la croissance économique sans précédent de la Chine depuis lors, quelle a été l’efficacité de ces réglementations et codes du bâtiment ? De 1995 à 2005, le parc immobilier chinois a presque triplé. Le Bureau national chinois des statistiques estime que, ces dernières années, quelque 4 milliards de m² de nouveaux bâtiments ont été construits par an.[2] Compte tenu de ce rythme de croissance effréné, le GBPN précise que : « Les autorités centrales et locales chinoises ont admis qu’il était urgent d’améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments en adoptant à la fois des politiques réglementaires (codes du bâtiment) et des politiques financières et de marché (incitation et labels énergétiques pour les bâtiments) », ces dernières demeurant néanmoins volontaires.

Il existe actuellement deux dispositifs de labellisation énergétique : le programme Green Building Evaluation and Labeling (GBEL) et le programme Building Energy Efficiency Evaluation and Labeling (BEEL), qui viennent s’ajouter à une norme de calcul des émissions de carbone des bâtiments et à une norme technique pour les bâtiments à bilan énergétique quasi nul. En 2015, la norme GB 50189, norme de conception des bâtiments publics relative à l’efficacité énergétique, a été adoptée pour améliorer l’efficacité énergétique des nouvelles constructions, de l’expansion et de la rénovation des bâtiments publics.[3] Il existe également des incitations à la construction durable, telles que les subventions pour les bâtiments à très faible consommation d’énergie ou pour l’intégration d’énergies renouvelables dans le bâti. Néanmoins, Wei Yang et Jie Li, chercheurs à l’école d’architecture de l’université de Tianjin à Tianjin (nord-est de la Chine)[4], affirment que « des objectifs et des normes d’économie d’énergie plus stricts sont nécessaires, de même que la mise en œuvre d’une approche en matière de cycle de vie ». Ils suggèrent également qu’en plus de la nécessité d’investissements massifs pour assurer la pérennité des bâtiments existants ainsi que celle des nouveaux, le nombre de nouvelles constructions devrait être limité.

Les bâtiments et l’environnement bâti contribuant actuellement à environ la moitié de l’ensemble des émissions de COdu pays, et le chauffage ainsi que l’exploitation des bâtiments représentant environ 22 % des émissions nationales liées à l’énergie, il reste beaucoup à faire pour appliquer et renforcer les réglementations actuelles et futures afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060.

Quelle est l’approche de l’Europe ?

 

En Europe, la Directive sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB) est la pierre angulaire de la politique en la matière. La DPEB est, avec certaines dispositions de la directive relative à l’efficacité énergétique (DEE) et de la directive sur les énergies renouvelables (RED), le « principal instrument législatif de l’UE visant à améliorer la performance énergétique des bâtiments au sein de la Communauté ».[5]

La directive DPEB, qui concerne à la fois le parc immobilier neuf et existant, a été adoptée pour la première fois en 2010, révisée en 2018, et mise à jour à nouveau en décembre 2021 afin d’être alignée sur l’objectif de l’Accord de Paris : ramener à zéro les émissions nettes d’ici 2050. Elle s’inscrit dans le cadre de l’initiative « Renovation Wave » du Green Deal européen, qui vise à décarboner les bâtiments européens tout en luttant contre la précarité énergétique et en stimulant la croissance économique. Entre autres politiques, elle comprend le « développement de stratégies nationales de rénovation à long terme (LTRS) pour la décarbonisation du parc immobilier d’ici 2050, fixant, pour tous les nouveaux bâtiments à partir de 2021, des exigences de performance minimales à des niveaux optimaux en termes de coûts pour les bâtiments faisant l’objet de rénovations majeures et répondant aux exigences des bâtiments à bilan énergétique quasi nul (NZEB). La DPEB prescrit également la délivrance de certificats de performance énergétique (CPE) chaque fois qu’un bâtiment est vendu ou loué ».[6]

Parmi les mises à jour les plus récentes de la directive figure l’amélioration obligatoire de l’efficacité énergétique des bâtiments publics et non résidentiels pour atteindre au moins le niveau de performance énergétique F d’ici 2027 et au moins le niveau E d’ici 2030. Les bâtiments résidentiels devront avoir une performance énergétique minimale de classe E d’ici 2033. La directive prévoit également de mettre fin aux incitations en faveur des chaudières à combustibles fossiles dans le courant de la décennie, sans toutefois aller jusqu’à les interdire.[7]

La modernisation du parc immobilier existant a été le sujet le plus controversé et un débat s’est ouvert sur la question de savoir jusqu’où ces plans devraient aller sans empiéter sur les pouvoirs des gouvernements nationaux. Quoi qu’il arrive dans un avenir proche, une chose est claire : dans la mesure où 85 % des bâtiments de l’UE ont été construits avant 2001 et où la grande majorité devraient être encore debout en 2050, toute refonte du parc immobilier existant de l’UE sera une entreprise titanesque et des plans plus détaillés sont nécessaires aux niveaux régional et national pour s’assurer d’atteindre la neutralité carbone en moins de trois décennies.

En ce qui concerne le Royaume-Uni, qui a officiellement quitté l’Union européenne au début de 2021, la norme Future Homes and Buildings, annoncée au printemps 2019 et qui doit entrer en vigueur en 2025, s’appuie sur les réglementations de construction existantes pour les nouveaux logements et vise à réduire les émissions de carbone de 75 à 80 % par rapport aux logements construits selon les normes actuelles. Bien que tous les détails de la nouvelle réglementation ne soient pas encore connus, ils incluront des éléments tels qu’un espace obligatoire pour le stockage de l’eau chaude, l’interdiction des chaudières mixtes, l’obligation pour les systèmes de chauffage de fonctionner à des températures plus basses afin de permettre aux pompes à chaleur de fonctionner efficacement, et des améliorations significatives en matière d’isolation et d’étanchéité à l’air.[8] En vertu des modifications apportées cette année à la réglementation existante, qui ouvrent la voie à la nouvelle norme, les nouveaux logements en Angleterre devront émettre 30 % de carbone en moins contre 27 % pour les nouveaux bâtiments commerciaux, à partir de juin.

Les règlements s’appliquent aux nouveaux logements. Le parc existant ne sera soumis qu’à certaines normes, notamment lors de travaux de rénovation importants. Les améliorations majeures en matière de réduction des émissions de carbone et d’économie de chaleur, telles que le remplacement longtemps envisagé des chaudières à gaz, n’ont pas été rendues obligatoires. Dans le document intitulé Heat and Building Strategy récemment diffusé par le gouvernement britannique, l’interdiction législative de leur vente a été remplacée par une « ambition d’éliminer progressivement l’installation de chaudières au gaz naturel après 2035 ».[9] Le gouvernement prévoit une incitation financière visant à faire adopter par les ménages des alternatives à faible émission de carbone telles que les pompes à chaleur, avec 5 000 £ promis par ménage à partir d’avril 2022.

Le Green Building Council du Royaume-Uni a contesté cette stratégie en matière de chauffage et de construction, affirmant qu’elle ne va pas assez loin dans la décarbonation complète des bâtiments et la modification de leurs modalités de chauffage au cours des 30 prochaines années. Bien que les réglementations et les engagements financiers existants en faveur de la rénovation des logements existants et des nouvelles constructions soient encourageants, des investissements et une législation beaucoup plus larges seront nécessaires pour assurer la transition vers une économie à faible émission de carbone dont le parc immobilier britannique a besoin pour que les engagements du pays en matière d’émissions nettes nulles soient tenus.


Qu’en est-il des Etats-Unis ?

 

Aux États-Unis, où les bâtiments représentent 39 % de la consommation d’énergie et les deux tiers de la consommation d’électricité[10], le gouvernement fédéral n’a pas le pouvoir d’adopter des codes du bâtiment contraignants. Les États et les gouvernements locaux peuvent cependant décider d’adopter l’un des codes fédéraux de l’énergie standard.[11] Ces codes fixent des exigences minimales pour la conception et la construction de bâtiments neufs ainsi que pour les rénovations dans le respect des principes d’efficacité énergétique. Ils visent également la consommation d’énergie des bâtiments ainsi que les émissions qu’ils génèrent tout au long de leur cycle de vie.

Il existe également deux principaux codes « modèles » fédéraux qui encadrent la consommation d’énergie des bâtiments : l’International Energy Conservation Code (IECC) et la norme ANSI/ASHRAE/IESNA Standard 90.1-Energy Standard for Buildings Except Low-Rise Residential Buildings (ASHRAE 90.1). L’IECC prend en compte l’efficacité énergétique d’un bâtiment sur la base de plusieurs facteurs, notamment le coût, la consommation d’énergie, l’utilisation des ressources naturelles et l’impact de la consommation d’énergie sur l’environnement. Il a été adopté par la plupart des États et des municipalités aux États-Unis. Il est mis à jour tous les trois ans afin d’intégrer les nouvelles technologies et pratiques de construction qui évoluent au fil du temps. Il fixe par ailleurs des normes d’efficacité minimales pour les nouvelles constructions en ce qui concerne les murs, les sols, les plafonds, l’éclairage, les fenêtres, les portes, les fuites dans les conduites et les fuites d’air d’une structure. La norme ASHRAE 90.1, régulièrement mise à jour et pour la dernière fois en 2019 afin de tenir compte de l’apparition de nouvelles technologies plus efficaces, fournit des exigences minimales pour la conception écoénergétique des bâtiments publics et commerciaux, lors de leur construction et de leur rénovation. La plupart des États appliquent cette norme à leurs immeubles commerciaux et certains à leurs édifices publics.


La réglementation en matière de construction va-t-elle assez loin ?

 

Les réglementations et codes de l’énergie applicables aux bâtiments ne sont efficaces que s’ils sont appliqués, ce qui peut s’avérer très difficile, car peu de juridictions infligent des amendes en cas de non-conformité. Leur application peut être favorisée par d’autres moyens, de nombreux pays complétant leur arsenal réglementaire relatif à la conception et à la construction de bâtiments par des incitations financières, allant des subventions aux prêts à faible taux d’intérêt en passant par des avantages fiscaux.

Les émissions mondiales générées par les bâtiments ont atteint leur plus haut niveau historique en 2019, à 9,95 GtCO2, soit 38 % de l’ensemble des émissions de CO2 liées à l’énergie, si l’on y ajoute les émissions du secteur de la construction.[12] Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), plusieurs facteurs ont contribué à cette augmentation, notamment la demande croissante d’énergie utilisée pour chauffer et refroidir les logements du fait de l’augmentation du nombre de détenteurs de climatiseurs et les phénomènes météorologiques extrêmes.

Alors que le monde se remet lentement de la pandémie de COVID-19, la promesse par les gouvernements d’une reconstruction vertueuse doit être une occasion de « refondre l’environnement bâti pour accélérer la transition vers une énergie propre et éviter de se cantonner à des technologies inefficaces et à fortes émissions ».[13]

Les possibilités de faire basculer, à l’échelle mondiale, le parc immobilier actuel et futur vers une énergie propre sont bien réelles, mais nécessitent des engagements fermes aux niveaux local, national, régional et mondial, ainsi que des réglementations et des politiques pour les faire respecter et les défendre. Seul le temps nous dira si, en ce qui concerne nos bâtiments, nous sommes sur la bonne voie pour ralentir le changement climatique, réduire la précarité énergétique et stimuler la reprise économique grâce à la conception et à la construction d’un environnement bâti économe en énergie et à émissions nettes nulles.