La libéralisation du marché de l’énergie en Grande Bretagne

La question de la libéralisation des marchés de l’énergie en Europe constitue un débat récurrent depuis les années 1990. La restructuration profonde du maillage énergétique anglais, entamée par l’Electricity Act de 1989[1]. reste encore, 26 ans après, un précédent largement commenté. L’expérience anglaise demeure riche en enseignements, à l’heure où l’Union Européenne s’engage dans une ouverture à la concurrence des marchés de l’énergie[2].

Le « modèle anglais » de restructuration énergétique.

C’est sous l’influence de Margaret Thatcher, à la fin de son dernier mandat, que le Royaume-Uni devient le premier pays au monde à bouleverser l’organisation traditionnelle de sa structure énergétique. Annonçant que la restructuration donnerait plus de pouvoir au consommateur et assurerait l’ouverture du marché à la compétition, le gouvernement entame les réformes en 1989. La réorganisation s’organise selon un triptyque privatisation/libéralisation/dé-intégration. Initialement unifié sous l’égide du Central Electricity Generating Board (CEGB), le réseau électrique est progressivement libéré du contrôle étatique. En 1990, 100% des réseaux de transport et de distribution sont privatisés. L’année suivante, ce sont 60% des systèmes de production (hors nucléaire) qui sont mis en vente. Rapidement, le passage au secteur privé porte ses fruits : entre 1990 et 1995, les profits opérationnels augmentent de 167% dans le secteur de la production, de 60% dans celui du transport et de 99% dans la distribution[3].

La libéralisation continue substitue à la logique de l’Etat celle de la concurrence. Planification nationale des capacités de production, choix des combustibles et des lieux d’implantation, autant de prérogatives dont le gouvernement se sépare, transférant ainsi au marché la responsabilité de nombreux choix stratégiques. La synergie de la restructuration provoque une dé-intégration progressive du réseau énergétique anglais. L’éclatement du CEGB en cinq sociétés indépendantes et l’arrivée de nouveaux acteurs provoque une segmentation horizontale du marché et entretient ainsi la concurrence nouvellement établie. Verticalement, la fragmentation de la chaine de production et de distribution confère au réseau anglais une flexibilité nouvelle.

L’avènement d’un « service public partiel »

Fortement marqué par la libéralisation des réseaux énergétiques, le modèle anglais tire néanmoins ses spécificités d’un maintien relatif de la puissance publique. Conscient de l’importance stratégique du secteur, le législateur anglais en a assuré une forte réglementation. Le transport et la distribution sont ainsi soumis à un ensemble de contraintes publiques[4] assurant l’obligation de fourniture, la continuité du service et l’égalité de traitement du client. Par ailleurs, les autorités exercent un contrôle global sur les prix, par l’instauration d’un système originale de pool qui tend à réguler sur une base quotidienne les prix du marché[5].

Si la réorganisation énergétique s’est accompagné d’un coût social élevé, notamment dans le secteur minier, elle n’en a pas moins été à l’origine d’améliorations significatives. Outre la flexibilité nouvelle issue de la dé-intégration, et l’acquisition d’une mentalité d’entreprise centrée sur l’optimisation des coûts, la restructuration a eu une influence notable sur l’évolution des tarifs : les prix industriels ont subi une baisse de 22% entre 1990 et 1998[6]. C’est la pratique du pool qui a assuré progressivement leur répercussion sur les prix domestiques, évitant ainsi toute manipulation.

Quelles leçons à tirer ?

Les restructurations actuelles et à venir diffèrent à bien des égards de l’expérience anglaise. Le cadre national s’est effacé au profit d’une stratégie communautaire, tandis que les objectifs de transition énergétique se sont progressivement imposés comme une priorité. Néanmoins, le réseau énergétique du futur peut et doit tirer les leçons de l’expérience anglaise. La déverticalisation ou « unbundling » reste un objectif pour nombre de pays dans lesquels subsiste un système pyramidal où « de grosses unités de production produisent du courant alternatif (…) distribué en basse tension aux particuliers »[7]. La décentralisation constitue ainsi une composante essentielle du réseau 3.0 de demain où sera privilégiée une gestion intelligente des équipements de production et de consommation.

Cependant, plutôt que de privilégier une rupture totale avec les standards préexistants, l’instauration du réseau 3.0 peut se faire dans la durée. Alors que le gouvernement anglais a privatisé et déverticalisé l’ensemble de son réseau en quelques années seulement, une cohabitation est possible (et souhaitable) entre ancienne structure centralisée et innovations décentralisées[8]. Les avantages des deux modèles peuvent ainsi être un temps combinés, tout en évitant les coûts sociaux d’une transformation industrielle brutale.

Néanmoins, la transformation énergétique pose à son tour la question de la place laissée à l’Etat dans un tel processus. Alors que l’ouverture à la concurrence est une priorité, les objectifs de transition énergétique n’en demeurent pas moins stratégiques. S’inspirer du service public partiel à l’anglaise, telle semble être une option possible pour générer de véritables synergies public-privé, alliant efficacité, vision de long terme et cohérence stratégique. Vingt-six ans après, le modèle anglais constitue encore une source de réflexion. A l’heure où la politique énergétique européenne se met progressivement en place – et à l’approche de la COP21 qui place la transition énergétique en tête des priorités – c’est en tirant les enseignements du passé que l’on peut envisager l’avenir.


[1] Disponible ici : http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1989/29/contents

[2] Adoption de la première directive européenne sur l’électricité en 1996. La dernière directive en vigueur fut adoptée en 2009 et est disponible ici.

[3] GLACHANT Jean-Michel, « L’Electricité en Grande Bretagne : une industrie privée et un service public partiel » in Sociétés Contemporaines n°32, 1998, p.99

[4] Idem p.102

[5] Voir à ce sujet : REVOL Henri, Rapport n°439 de commission d’enquête au Sénat, 2ème partie, « Les Britanniques tirent les leçons d’une libéralisation vieille de presque dix ans » 1998, disponible ici.

[6] World Trade Organization, Social Effects of Energy Liberalisation : The UK Experience, 2000, disponible ici.

[7] PROVOOST Rudy, Energie 3.0 Transformer le monde énergétique pour stimuler la croissance, Cherche-Midi, 2013, p.41

[8] Idem p.53