L’effet rebond, face cachée de l’efficacité énergétique

Économiser l’énergie peut inciter à en dépenser davantage. Ce paradoxe a un nom : l’effet rebond. Un phénomène particulièrement visible dans les secteurs où l’amélioration de l’efficacité énergétique entraîne parfois une augmentation des consommations. Pour éviter ces effets pervers, il importe d’évaluer le rôle des usagers et de veiller à mieux les informer. 

La nouvelle a fait l’effet d’une douche froide : dans un rapport publié en juillet 2020, la principale fédération allemande de sociétés immobilières, la GdW, révélait que malgré les milliards investis dans la rénovation énergétique des bâtiments, la consommation annuelle moyenne des logements, qui avait baissé de 31 % entre 1990 et 2010, était restée au même niveau depuis : environ 130 kWh par mètre carré1

Parmi les raisons avancées, le comportement des usagers : désireux de pleinement profiter des qualités d’isolation de leur logement, beaucoup avaient pris l’habitude de pousser le chauffage à 22 degrés, au-dessus des 20 degrés préconisés.

 

Quand l’efficacité énergétique entraîne la surconsommation énergétique

 

Cet exemple est une bonne illustration de « l’effet rebond » : sorte d’effet boomerang par lequel une amélioration de l’efficacité énergétique, conduit à une augmentation globale des consommations.

Il y a quelque chose de paradoxal dans l’effet rebond. On parle d’ailleurs parfois également pour le désigner de « paradoxe de Jevons », du nom de l’économiste britannique William Stanley Jevons qui l’a exposé pour la première fois en 1865. « L’idée selon laquelle un usage plus économe de combustible équivaudrait à une moindre consommation est une confusion totale. C’est l’inverse qui est vrai », écrit-il, constatant que l’amélioration de l’efficacité énergétique de la machine à vapeur a conduit à réduire le coût du charbon, et à en accroître la consommation globale.

L’effet rebond peut être direct quand, comme dans l’exemple du charbon, la baisse du prix entraîne une augmentation de la consommation. On pourrait en dire tout autant de l’amélioration des performances énergétiques des véhicules. La Ford T, au début du XXème siècle, qui ne pesait pourtant qu’un peu plus de 500 kilos, consommait 18 litres au 100 soit trois fois plus que la plupart des voitures d’aujourd’hui. Cette évolution ne s’est pas accompagnée d’une réduction des consommations : la baisse du coût du kilomètre a au contraire incité les automobilistes à parcourir des distances plus importantes. Dans le même temps, les ventes de voitures ont augmenté : 80 % des ménages disposaient d’au moins un véhicule en 2005, contre 60 % en 1973. Et le volume global des consommations de carburant routier, hors de quelques périodes de tensions sur les marchés (entre 1974 et 1985 notamment), a fortement augmenté.

L’effet rebond peut également être indirect, quand l’augmentation de pouvoir d’achat résultant de l’efficacité énergétique se traduit par un report des consommations sur d’autres postes de dépenses : l’achat d’un plus grand téléviseur par exemple, ou un week-end à l’étranger, grâce à la réduction des factures de chauffage.

 

 

Les usagers au centre de la transition énergétique

 

Ces nombreux exemples d’effets rebonds portent un sérieux coup aux scénarios « techno-solutionnistes », ou « techno-optimistes », qui voudraient que l’innovation suffise à conduire la transition énergétique, sans qu’il soit nécessaire de modifier les modes de vie.

Le Centre d’analyse stratégique (CAS, devenu depuis France Stratégie) le soulignait déjà en 2011 : « (…) le progrès technique ne suffira pas à résoudre les problèmes environnementaux auxquels nous sommes confrontés. Selon l’Agence internationale de l’énergie, il ne représentera que la moitié de l’effort nécessaire pour atteindre nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour aller plus loin, nous devrons également modifier nos comportements »2

Concernant les logements, le CAS proposait notamment que les campagnes de construction et de rénovation s’accompagnent à l’avenir de mécanismes d’incitations aux économies d’énergie 3. L’enjeu étant que la transition énergétique ne soit pas seulement technologique et que de nouvelles habitudes de consommation s’installent parmi les habitants. 

 

1 Cécile Boutelet, « En Allemagne, les rénovations énergétiques des bâtiments n’ont pas fait baisser les consommations », Le Monde, 4 octobre 2020.

2« Pour une consommation durable », Rapport de mission du Centre d’analyse stratégique n°33, La documentation française, janvier 2011.

3« Comment limiter l’effet rebond des politiques énergétique dans le logement ? L’importance des incitations comportementales », La note d’analyse du Centre d’analyse stratégique n° 320, février 2013.